8h30 École des Beaux-Arts, Jean-Pierre Castex

8 heures 30, le matin, quai de la Daurade, Toulouse, École des Beaux-Arts, les agents de service sont en action et parcourent les salles et les couloirs.
Les lumières s’allument sur un morne capharnaüm. Ici, une salle nue, des feuilles de papier et de carton en attente discutent avec des pièces de bois et quelques tiges de fer, une agrafeuse, un marteau, un possible concert. À côté, des plateaux en portes isoplane blanc ressemblent à des automobiles enchevêtrées dans un inextricable embouteillage. Les tabourets attendent leurs pilotes. Une machine à café fleurit sa moisissure, des misères pieds dans l’eau, des toiles tendues, clouées, roulées, froissées, des tissus pendants, du plâtre en blocs, en sac, en débris blancs, colorés, lissés ou striés. Sur les murs et les cimaises, des dessins et des peintures, lorgnent vers les mines et les pinceaux, les palettes expressionnistes. Des pages couvertes de mots indéchiffrables. Peut-être ces mots cherchent, tentent d’expliquer. Les écritures inquiètes ou apaisées, des phrases comme autant de ponts jetés sur ce que sera demain. Il sera fort et altier, tendre ou pâle, rieur, cynique, vif, argenté, sensuel, solidaire et solitaire.
Demain sera pour aujourd’hui, ce que n’est pas encore ce matin.
Dans les espaces techniques, les machines clignotent à nouveau prêtes à découper, trancher, calculer, imprimer, fondre et souder, prêtes à enregistrer, emprunter, mouler, dupliquer, partager. Maintenant toutes les salles sont ouvertes, les fenêtres des ordinateurs, les rayonnages de la bibliothèque, ceux de la matériaux-thèque, les vracs de la récupéra-thèque.
9 heures vient avec les premiers murmures et les vagues sourires échangés. Les mains retrouvent les outils. Les objets prennent d’autres directions. Des discussions s’engagent et des projets vers d’autres rendez-vous. Les tables et les matériaux retrouvent leur propriétaire vers d’autres désordres. De longues silhouettes s’animent pour faire centre. Les dispositifs jouent, les objets cherchent une place. Les masques de soudeur protègent des trop vives lumières et les yeux sondent un point focal. D’incertaines bribes sonores jouent leur fanfare tonitruante, feutrée et grinçante. Des mains qui tremblent ou assurées, tranchent, choquent, effleurent, caressent, pianotent, masquent et dévoilent. Ailleurs les corps font cercle et les regards sont tournés vers un unique point et la parole vient. Car tous ces gestes et ces matériaux et ces images mêlées tendent vers un unique but ; faire langue, vocabulaire, syntaxe et langage. Tous, hier encore aveugles et sourds avancent à tâtons et cherchent, parfois trouvent ce qui dessille les yeux et les mains et les bouches.

Ailleurs encore, le cul posé sur les marches froides, d’autres yeux scrutent ce qui ressemble à du vide, du rien, du banal. Parfois les regards se croisent. Derrière le froid et la fumée, il arrive que viennent des rires.

Jean-Pierre Castex, le 21 novembre 2018.
Merci à tous les étudiants qui se sont succédés pour que je puisse vivre un peu de leur aventure.
Merci à Jean-Patrick Capdevielle dont la chanson « Quand t’es dans le désert » à accompagné l’écriture de ce texte.

 

 

CHRONIQUES D'ATELIER, Jean-Pierre Castex

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