Cliché : Sur la route de Pollock

Avec la cigarette en coin et son oeil droit fermé. Pollock l’image. Son stéréotype. Le voilà prêt pour les couvertures de magazines. L’artiste qui peint, le Pollock, qui sait pas, plus. Tout à sa frénésie comme il est, noyant ses démons intérieurs sous des enchevêtrements de couleurs. Pollock, le paysan superstar. reclus dans sa ferme. L’Etranger. adossé à sa porte en bois. Voilà une entrée dans la matière, possible pour notre petit sujet. Mais nous ne sommes pas les premiers, c’est vrai. Alors pourquoi un article supplémentaire sur le mythe ? Question de clichés. 

Les photos ! Les flashs, ceux qu’on prend dans les yeux. C’est la faute à ce gendarme de Namuth, pour être allé trop vite. Sur les Routes. Pollock l’éventreur de la peinture moderne. C’est pour la galerie. Le Pollock de Namuth. Le sauveur. Le Cowboy. L’identité culturelle. C’est l’Amérique ! C’est l’homme des bois le naturel. Le Kerouac. Le London. Le vagabond de l’Est. L’assoiffé solitaire. La force du poignet solide, la conquête sauvage comme c’est pas permis. Le tout trouvé. 

Du mythe d’atelier. C’est là que tout se fait, dans le mystère. Des ateliers où personne ne rentre jamais, il en existe beaucoup. Prenez Cézanne. Le reclus celui d’Aix-en-Provence. Un rustre à pas y mettre les pieds. Personne ! ou si peu. Sinon la nature. La lumière bien entendu. Les saisons. A l’abri des hommes. Ils se ressemblent ces ateliers. Les lames en bois au sol qui craquent sous les pas. Dans ce carré long, fenêtres au Nord. En pleine fuite. En cavale. Pollock au sol, genoux sur la toile. la cendre qui tombe en rythme… CLAC… sur la, CLAC… peinture CLAC CLAC… et les coups qui viennent rythmer cette danse autour d’une tombe. Namuth il sait plus où se mettre celui là. le meilleur angle devant la puissance dégagée. Les pinceaux de Pollock crachent des flammes, des milliers d’étincelles de couleur. embrassant là l’humaine condition. Tout palpitant le cliché. La machine prend tout : les pinceaux l’homme les toiles jusqu’aux couleurs… en noir et blanc cette histoire. En archive. Pendant ce temps tout Pollock y passe sur la toile. ENTIER. Hans l’a compris. Pollock The Dripper. Son visage immense au dessus des plaines, son idée fixe et démentielle et décharnée… Ses yeux enfoncés rayonnants. L’instant… TAC… TACTAC.. TAC… qu’il en finit plus l’appareil son reportage pour les siècles ! On y est tous dedans. Namuth le faiseur. Du mythe en boîte. mitraillé emballé. 

Mais attention, une fois que nos yeux finissent de crépiter à la lumière artificielle. le jour se fait sur Pollock : un laborieux de la chose. La terre, les racines, et ce tout petit rien de mysticisme naturel. Le dur travail quotidien. Se racheter par la couleur. Pollock le style direct, la facilité : la coulante à oublier. Le Bebop, petite musique du cliché. les raccourcis en voiture pour sortie de route. Et puis le silence. L’eau. Le vent. La chaleur. La douce lumière des Hamptons couvrant les champs de blé. Et tant pis pour les amoureux de l’improvisation et du Jazz. Les tableaux ne retiennent pas toujours les traits de génie instantanés qui permettent de ne rien expliquer. Le tableau s’est alors redressé. La peinture s’est arrêtée de couler. La fuite s’est figée. Enracinée. L’objet du délit le style de son passage. La peinture devenant tout à la fois objet et sujet. Namuth, le reporter de guerre nous a sans doute trop habitué à venir rendre visite à Pollock dans les musées. A l’image de Van Gogh. C’est un Cézanne barbe et chapeau ! Le temps d’une p’tite photo. d’un cliché. Pour jouir sans effort en penchant la tête sans en perdre l’âme. Pollock a façonné la peinture à son image, laissant le soin à Namuth de lui confectionner une personnalité. Un produit, une campagne de pub… l’homme de Pittsburgh n’a rien oublié. 

Un cliché pour un autre. A quoi bon ! Chacun son fantasme. Son récit de la vérité. C’est au coeur du regardeur que l’Amérique est allée puiser cette histoire. Le silence de l’atelier devenu fureur de vivre. L’affaire était trop belle pour y résister. C’est tout vu Pollock. Le corps tout entier dans ces milliers de routes que la toile ne peut déjà plus contenir… telle une fuite dans l’immensité de ces espaces infinis trop petits… ahhh le lyrisme… les Routes colorées qui embrasaient tout sur leur parcours, des tartes à la crème ! le mythe passait à travers le maïs, les villes, anéantissant les ponts, asséchant les fleuves. Les foules en redemandent : Elle venait de Pollock la colère ! Saisi de folie. Tout est cuit. Le bâton et la couleur viennent frapper la toile. A toute allure. Mille milles à l’heure. Il fonce sur nous à travers le continent gémissant et terrible et bientôt il allait arriver. On fit hâte, des préparatifs s’imposaient. Le bruit courait qu’il venait. Le XXème siècle ! l’entrée imminente dans sa deuxième moitié. Haut les coeurs : la sensibilité l’émotion. Toute nue. il venait pour casser la gueule à Picasso. Enfin ! Le duel. Le minotaure. Dieu est mort ! fallait élargir les caniveaux, débordant déjà de peinture, de couleur, de style et d’épopée. Fantastique ! Fantastique. A la conquête. L’émotion directe. dans les veines, les coulures. Les yeux dans les étoiles d’East Hampton. La fièvre la rumeur bruissait le long des rails menant à New York. La ville. Il fallait aménager certaines lois, le Style, pour l’accueillir comme il se doit. Greenberg ouvrant la voix. de manière à s’adapter à cette énorme passion. ces extases explosives… L’attraction irrésistible de celui qui nous dépasse. 

Et puis, le train est déjà parti. C’est ainsi. Pollock sera bientôt sacrifié comme il se doit. Tandis que je m’arrête. Le temps de faire le plein. Là dans la station. Retour à la voiture. J’ouvre la portière. Tourne la clef de contact. Marche arrière pile poil. J’accélère doucement dans l’allée. Cadrage et mise en scène. Comment résister ? C’est comme ça que ça a commencé. 

Gabriel Maginier

 

Petite musique critique par Gabriel Maginier : Pollock
Petite musique critique par Gabriel Maginier : Pollock