Marilena Aligizaki – The Game : Réflexions sur les dimensions sociales et culturelles du sport

Alors doctorante à l’université Bauhaus de Weimar, Marilena Aligizaki a rencontré des immigrés qui l’ont rapidement amené à réaliser une série d’entretiens sur les différentes dimensions que peut avoir le sport dans la société. Une série intitulée The Game qu’elle a complétée à Athènes, sa ville natale, avec des personnes ayant une situation comparable. Elle pose comme axes de réflexion : la pratique du sport collectif par les minorités migratoires et le caractère sexué de certains types des sports.

The Game, à la différence de ses œuvres au caractère plus documentaire, constitue une installation interactive. Le visiteur est invité à s’impliquer en regardant les vidéos-projections, en lisant les textes de l’artiste mais aussi en jouant ou discutant avec les autres visiteurs. Marilena Aligizaki crée un environnement d’échange et de distraction. Un espace de « relaxation » est proposé, comparable aux fan zones qui se sont généralisées lors de la Coupe du Monde de football, permettant aux visiteurs de s’asseoir, parler, boire, manger et jouer à des jeux de table tout en regardant les rencontres des équipes amateurs de cricket et de football.

Les entretiens de The Game, sont projetés sous forme d’une série de vidéos traduites dans de multiples langues, anglais, grec, coréen et serbe, avec un volume sonore suffisant fort pour créer un environnement multilingue. Les différentes narrations des joueurs amateurs de cricket et de football rencontrées à Athènes et à Weimar, mettent en exergue la question de la construction d’une identité pour une personne vivant dans un pays qui n’est pas le sien. La pratique du sport peut se montrer catalysante mais elle rend évident aussi des comportements xénophobes de la part des communautés locales. À cela s’ajoute, la question de l’inégalité homme-femme dans la pratique du sport, et de son exercice dans l’espace public. 

 

Marilena Aligizaki – Noor
Marilena Aligizaki – Noor

 

Dans la vidéo Noor, une jeune Pakistanaise explique les limites imposées aux femmes dans la pratique du sport au Pakistan et comment elle a pu les dépasser depuis qu’elle s’est installée en Europe. Depuis le début du 20e siècle, le mouvement féministe a fait d’énormes progrès dans l’intégration des femmes dans la société par le sport. Celui-ci a permis aux femmes, selon Marilena, une autonomisation sociale en fonctionnant comme une sorte de « cheval de Troie ». Dans sa recherche Marilena a remarqué que le sport a imposé un changement dans le vêtement pour délivrer « le corps de la femme-athlète afin d’améliorer ses capacités de course » participant ainsi à son émancipation. 

D’autres entretiens portent sur les enjeux socio-politiques des sports collectifs comme le témoignage d’un footballeur serbe qui rappelle que le match de 1992 entre Dinamo Zagreb et Red Star Belgrade a été le déclencheur de la guerre dans l’ex-Yougoslavie. La dernière vidéo de l’installation focalise sur la construction des ballons de football de la FIFA, par l’usine Adidas de Sialkot, au Pakistan. En dépit de l’énorme quantité de production de ballons dans la ville de Sialkot (la production nationale représente 40% des 30 millions de ballons fabriqués par an dans le monde), les habitants ne pratiquent pas autant le football que le cricket, sport national. L’équipe de football nationale pakistanaise n’est qu’à la 159e place dans le classement mondial. 

Au cours des dernières années en Grèce, les grandes vagues migratoires, ont créé un environnement multiculturel où le sport est considéré comme un facteur important dans l’intégration des immigrés dans la nouvelle société diasporique. En Grèce, le cricket est joué exclusivement par des personnes originaires du Pakistan, Sri Lanka, Bangladesh et de l’Inde, dans des lieux publics malgré l’interdiction de la loi grecque, tels que la place à Pedio Areos, un quartier du centre-ville d’Athènes fortement touché par la crise. Le cricket, bien que provenant d’un héritage colonial, a été utilisé par les peuples pakistanais et indien comme un instrument de lutte contre la domination anglaise. Ce rôle crucial dans la construction de ces deux nations explique la place toute particulière occupée par ce sport dans les deux pays explique l’artiste. La décolonisation dans la seconde moitié du 20e siècle et les crises migratoires au début du 21e ont transformé les sociétés occidentales qui se caractérisent aujourd’hui plus que jamais par l’hétérogénéité. En contact avec l’équipe « Kipseli » composée par des joueurs d’origine pakistanaise, l’artiste a noté que la pratique collective de ce sport fonctionnait comme un vecteur de souvenirs et leur permettait de conserver un lien actif avec leur pays d’origine. L’approche de Marilena Aligizaki sur la pratique du sport met l’accent sur une activité qui contribue à la sauvegarde de l’identité culturelle des individus dans les grandes villes. 

Le sport, se trouvant à la base des sociétés modernes, est un élément-clé de leur organisation et de leur structure. 

Johan Huizinga dans Homo Ludens (1938) montre la présence active et féconde du jeu dans l’avènement de toutes les grandes formes de la vie collective : culte, poésie, musique et danse, sagesse et science, droit, combat et guerre. À l’instar du don, le jeu manifeste, par son archaïsme même, les conditions anthropologiques sans lesquelles la vie sociale serait possible. À la question : la pratique du sport pourrait-elle aider au respect du multiculturalisme et à repousser l’hystérie islamophobe qui prévaut en Europe ? L’artiste répond que le sport favorise le développement du respect de la différence. D’une manière exemplaire en Grèce, le succès international du basketteur Yanni Adetocunbo lui a permis de bénéficier de l’accélération de la reconnaissance par l’Etat de sa nationalité grecque et d’être mieux accepté par la communauté locale. 

La distance entre la plupart des grecs et la communauté musulmane du pays ainsi que la construction médiatique d’un danger musulman ont renforcé les sentiments négatifs et la peur devant l’inconnu et le différent. Le sport continue à ce jour d’être au centre de la recherche et des intérêts artistiques de Marilena ouvrant dans son travail un champ d’étude et d’observation riche sur les comportements sociaux, et les enjeux politiques et sexués en explorant la longue histoire des sports collectifs de leur pratique au niveau local et international, dans les sociétés occidentales et orientales. 

Texte Maria Xypolopoulou © Point contemporain

 

Marilena Aligizaki est née à Athènes (1984) où elle vit et travaille.
Diplômée du département de la conservation des antiquités (Université d’Athènes) et de l’Ecole des Beaux-Arts d’Athènes. 

www.marilenaaligizaki.com

 

Visuel de présentation : Marilena Aligizaki – The Game