Paul Rousteau selon 1:61

Par Léia Fouquet – 1:61

Ingrédients d’une recette photographique 

Paul Rousteau fait un usage de la photographie qu’un historien de l’art pourrait aisément qualifier d’impure. Expliquons-nous : l’expression sert dans le jargon des théoriciens de l’art à regrouper ensemble des pratiques photographiques non-orthodoxes, c’est-à-dire celles qui ne respectent pas la soi-disant finalité du médium photographique, à savoir : capturer objectivement le réel. La méthode de Paul Rousteau n’est donc pas à rapprocher des réalisations modernistes où pureté et objectivité se confondent dans une fascination pour la technique photographique. De fait, on ne peut ranger son œuvre seulement du côté de la photographie construite ou de celui de l’instantané car l’artiste opte plutôt pour un savant mélange entre mises en scènes millimétrées et heureux hasards de l’automatisme. Ne soyez donc pas surpris si certaines sont figuratives quand d’autres ressemblent plus volontiers à des peintures abstraites : l’artiste envisage son appareil comme un médium de révélation plus que de reproduction. Ainsi, sa photographie que nous préférons qualifier d’expérimentale, vise surtout à tester les différents ressorts de l’image photographique. Insatisfait à l’idée de représenter la réalité telle que notre œil pourrait le faire, l’expérimentateur triture ses optiques, installe parfois des dispositifs réfléchissants en amont de la prise de vue ou bien retravaille ses épreuves photographiques en aval de leurs tirages. Ces multiples usages nous dépossède alors de notre vision humaine comme de nos poncifs sur ce qu’est la Photographie. 

Paul Rousteau, Sans titre, série Beyond Photography, 2016-2019
Paul Rousteau, Sans titre, série Beyond Photography, 2016-2019

Irrévérences plastiques 

Cette liberté prise avec le médium photographique se retrouve aussi dans les références choisies par l’artiste : la peinture, l’enfance, le nu… Paul Rousteau nous raconte que le choix de ces codes formels, disons-le, surannés, étaient en réalité une forme d’attitude punk dès l’école d’art, où, nous pouvons l’envisager, l’esthétisme était un O.V.N.I parmi tendances « non rétiniennes » de l’art contemporain. Néanmoins, si l’œuvre de l’artiste n’est pas progressiste elle n’en est pas moins conservatrice et affirme plutôt qu’il n’y pas de tabula rasa en art. En effet c’est toujours avec une perspective modifiée qu’on redécouvre des éléments familiers dans ses photographies : le monde végétal y devient aplats colorés ou nature morte, peuplé parfois d’humanoïdes. 

Paul Rousteau, Sans titre, série Beyond Photography, 2016-2019
Paul Rousteau, Sans titre, série Beyond Photography, 2016-2019

Vous avez dit anti-moderne ? 

Paradoxalement la photographie a ici la vertu de rendre visible l’imaginaire invisible. Cette fonction de l’art empruntée à un pionier de l’abstraction, Paul Klee, dresse finalement un parallèle entre la démarche de Paul Rousteau et l’Histoire de l’art Moderne même si, nous l’avons vu, celle-ci est résolument anti-moderne tant en termes photographiques qu’iconographiques. Dès lors, peut être que les qualificatifs échouent toujours face aux contradictions que résout l’image. Permettons-nous cependant de qualifier sa photographie d‘idéaliste car sa réalisation est motivée par la quête (a priori inatteignable) d’un horizon parfait. Mais enfin, de quel invisible opère-t-il le dévoilement ? le Beau, Dieu ou seulement l’inaperçu ? Le mystère reste entier, à nous de choisir. 

Licences artistiques 

Par ailleurs, son travail puise également dans l’esthétique des Impressionnistes. La recherche de ces derniers, plus pragmatique, était d’observer et retranscrire sur la toile les variations colorées produites par la lumière naturelle. Accordant une place toute particulière à Monet, le photographe arpente son jardin de Giverny depuis près de trois ans et semble y poursuivre, muni de son appareil, les interprétations chromatiques du peintre. Néanmoins, si continuation de la démarche artistique il y a, c’est plutôt celle de Monet atteint de la cataracte, pour qui des Nymphea il ne reste que des tâches colorées rougeâtres qu’il continu à reproduire tant bien que mal. Le photographies de Paul Rousteau nous permettent alors éventuellement de repenser le caractère expérimental de la découverte artistique. Les deux artistes créent des œuvres abstraites avec peu : la quasi cécité et un appareil photo. Enfin, la réinterprétation de ce lieu touristique n’est pas seulement une manière de mesurer l’objectif du photographe à l’œil du peintre, ni simplement à faire dialoguer photographie et peinture. Dans sa série « Beyond Photography », Paul Rousteau s’intéresse également à la façon dont ce lieu est parcouru et perçu par d’autres. Multipliant les perspectives, il nous présente une nature en pleine hallucination où les jets colorés d’une flore déformée côtoie une faune d’appareils photos et de spectateurs diffractés.

Paul Rousteau, Sans titre, série Beyond Photography, 2016-2019
Paul Rousteau, Sans titre, série Beyond Photography, 2016-2019
Paul Rousteau, Sans titre, série Beyond Photography, 2016-2019
Paul Rousteau, Sans titre, série Beyond Photography, 2016-2019

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