(La)Horde

Interview avec le collectif (La)Horde par Henri Guette

Connu pour ses réflexions sur la danse post-internet, le collectif (La)Horde continue de rassembler au delà des réseaux. Au travers de vidéos et de performances, ils sont revenus le temps d’une soirée nomade à la fondation Cartier sur leur parcours et l’importance de l’engagement 

Interview avec le collectif (La)Horde par Henri Guette
Interview avec le collectif (La)Horde par Henri Guette

Avec cette soirée à la Fondation Cartier, vous avez littéralement proposé un parcours qui permettait au visiteur/spectateur de retracer vos différentes recherches. Quel est le lien que vous établissez entre ces différents projets ou comment pourrait-on caractériser la démarche de (La)Horde ?

Nous sommes un collectif et nous travaillons avec des communautés. Nous nous intéressons aux pratiques autodidactes et à la façon dont les corps peuvent se former en dehors des institutions ou de canons préexistants. Nous avons développé une recherche sur la circulation des gestes par le biais des réseaux après avoir longuement observer comment les smartphones, ordinateurs et autres écrans peuvent changer notre façon de percevoir le mouvement. Nous accompagnons de nouvelles pratiques et la rencontre avec la culture jumper, matière chorégraphique à part entière, a été déterminante pour nos premières performances. Le spectacle To da bones est ainsi né d’une véritable collaboration avec les membres de cette communauté. Nous avons élaboré de nouvelles méthodes de travail et travaillé non seulement avec l’idée de communauté mais avec la communauté. Cela nous a beaucoup rapproché d’autres subcultures avec lesquels nous souhaitions avancer.

De par cet intérêt pour le multimédias nous avons aussi développé un travail protéiforme qui passe autant par la performance que la vidéo et s’enrichit constamment, notamment par le re-enactement. En poursuivant la forme sur un plateau, nous sommes arrivés à une pièce d’une heure mais ce n’était qu’une étape d’un projet global. Il nous semblait important d’exécuter les mêmes gestes dans différents lieux pour échapper à une objectification des corps. La scène est un lieu politique mais au même titre que la rue et il ne s’agit pas de les mettre dos à dos. Il y a une porosité entre nos différents projets ; quand nous choisissons les cadrages ou même les lumières il s’agit d’avoir autant une réflexion sur la scène que sur la vidéo. 

Comment aborde-t-on justement une déambulation dans un espace d’exposition ? A la Fondation Cartier, le lien entre les performances et la vidéo interroge sur l’articulation entre corps et décor mais aussi sur le statut de la captation et démarche in progress…  

Nous partons toujours de l’analyse du mouvement dans notre démarche mais nous jouons aussi beaucoup avec le contexte. Nous avons appréhender l’espace d’exposition de manière à créer du sens avec les oeuvres. En invitant les cloud chasers avec qui nous avions déjà travaillé à la Fondation Lafayette Anticipation nous avons cherché à établir un dialogue. Cette communauté réunie online sculpte la fumée de manière à proposer des respirations, des arches éphémères dans lesquelles peut passer le visiteur ou encore des cadres dans lesquels le regard peut être dirigés, ré-orienté.

De la même façon nous avons voulu reprendre notre travail avec le gabber, variante de la danse jumpstyle, qui s’apprend tout seul via les vidéos tutorielles youtube. Nous avons joué avec les reflets des miroirs de Benjamin Graindorge ou des baies vitrées. Dans leur façon ordinaire de s’entraîner, de progresser, ces danseurs ne travaillent pas ensemble et n’ont pas recours au miroir : nous déplaçons une pratique que ce soit sur la scène ou dans un lieu d’exposition, mais dans le second cas, cela devient plus évident. Le rapport de lecture change avec le public qui peut circuler en même temps que les danseurs. La temporalité s’étire aussi… L’attention du public se déplace entre les oeuvres qui les entoure et la performance. Les temps de pauses et de récupérations pour les danseurs qui restent dans l’espace continuent aussi de brouiller les limites. 

Quand un espace est occupé corporellement l’attitude des visiteurs changent. Comment appréhendez vous ces réactions ?

Nous avions des pistes d’interactions possibles de par nos précédents travaux et nous avons développé une soirée véritablement avec les lieux, en étroite collaboration avec les gens de la fondation. Nous ne voulions pas faire d’annonces, imposer un rythme au visiteur. Chacun est libre de son parcours, d’aller voir le film avant, après, pendant, d’être nomade. Nous créons un espace non naturel, un espace de représentation où la relation qui se crée au spectateur est d’ordre personnel. La scène est un lieu important qui permet de raconter des choses qui ne sont pas évidentes, poser des questions qui ne sont pas simples. Mais ici nos interprètes  Interprètes questionnent le cadre muséal, le rapport au corps et le  rapport historique du spectateur  au politique. Ces propositions nous permettent de créer des endroits où l’on se déstabilise, où l’on flirte avec l’interdit. Inviter les jumpers au théâtre n’avait rien d’une évidence ; en déplaçant et en faisant glisser les danseurs entre les espaces nous interrogeons les conventions de plateau et ce que nous prenons pour acquis.

Interview avec le collectif (La)Horde par Henri Guette
Interview avec le collectif (La)Horde par Henri Guette

Danser dans un espace muséal est encore différent de danser dans un espace public sans autorisations… Comment cette conscience des codes influe-elle ?

En effet l’espace induit des intentions corporelles différentes et différents déplacements. Avec la danse peut se construire un privilège, une appropriation du lieu. Nous avions exploré cette tension avec The Master tools lors de Nuit Blanche 2017 à la Halle Hébert en travaillant différentes actions en simultanée et en jouant des temporalités. Nous reprenions le principe des kissing contests autour d’une limousine et nous l’avons encore transposée à la fondation Cartier d’une façon minimale. Lors de ces concours aux Etats-Unis, celui qui est capable de rester le plus longtemps accroché à la voiture la remporte… Symbole du pouvoir fétichisé, la limousine taggué “We the people” soulignait une ambiguïté entre insurrection et soumission. L’objet a beau être vandalisé, nous nous soumettons encore à lui. Notre relation aux médias et au buzz est devenu un sujet pour nous qui permet de parler aussi indirectement de l’exploitation de la misère, du consumérisme et de la publicité.

En même temps que la performance se fait, les curieux autour filment et partagent des photos sur les réseaux sociaux. Nous utilisons nous-même la vidéo mais la différence avec les images qui circulent nous interroge. Alors que nous cherchons généralement à en montrer les artifices, les projecteurs et autres, comme manière de déconstruire l’image, les spectateurs cadrent de manière à rendre invisible ce dispositif, à rendre la scène réelle. La performance de 2017 a ainsi été propagé sur le modèle d’une fake news et le spectaculaire du plateau est passé dans les médias. Le camion anti-émeute et son canon à eau que nous avions fait venir ont fait croire à une émeute et la chorégraphie de black block a déclenché des réaction mêlées. Nous voulions montrer comment un groupe pouvait résister à l’injonction de la dispersion et c’est finalement l’information qui s’est dispersé !

De la vidéo, à la danse en passant par la performance, vous passez d’un espace à l’autre. Quel engagement cette circulation entre la scène, le virtuel ou encore des tiers lieux traduit-elle ? 

Le partage et repartage sur les réseaux sociaux nous intéressent aussi par rapport à notre réflexion post-internet. Nous participons à une boucle d’échanges et nous alimentons un flux que nous cherchons justement à rendre visible au travers de recherche, d’analyse et de danse.

La déambulation est l’une des formes avec lesquelles nous travaillons dans ces formes de partage et il nous arrive aussi de faire descendre le public sur scène ; nous aimons voir le public marcher autour des danseurs et peut-être prendre eux-même part à la danse. Nous proposons des zones de réflexions et pas des réponses claires. Les spectateurs sont libres de commenter, applaudir, partager. Le pas de base du jumpstyle est accessible et l’énergie brute de la danse est communicative. 

Nous avons réalisé le film  de The Masters tools (Les outils du maître en français), en récupérant des vidéos publiées sur instagram et en démultipliant les points de vues grâce aux réseaux sociaux. Nous ne regardons pas les nouveaux médias sans critique, des chaînes d’information en continue comme Euronews où l’image est livré sans commentaires ni voix off induit une quête de sensationnalisme qui n’a rien de neutre. Ce film et cette performance empruntent leur titre à la poétesse féministe black et LGBT Audre Lorde : Jamais les outils du maître ne permettront de démonter la maison du maître. Nous nous interrogions sur les conditions d’une révolution. Si nous pensons que la révolte en soi mettra toujours de nouveaux leaders en place, des mouvements comme ceux des Gilets jaunes semblent plutôt optimistes. 

Interview avec le collectif (La)Horde par Henri Guette
Interview avec le collectif (La)Horde par Henri Guette

Que peut donc nous apprendre la communauté jumpstyle ? 

Le jumpstyle n’est pas une communauté idéale. C’est un cercle majoritairement cis blanc et hétéro qui fonctionne par cooptation où très peu de femmes sont admises. C’est en fait une communauté genrée et symptomatique de l’Europe actuelle et de son besoin d’identification ; elle est avant tout sociale. Les danseurs appartiennent indifféremment à leurs pays d’origine à des classes sociales similaires et partagent une même colère. Nous n’avons pas cherché à montrer un monde idéal sur le plateau, nous avons joué de malaises et de reflets pour poser des questions, laisser la place à une expression. Cette communauté va parfois à l’encontre de ce que l’on défend mais la dramaturgie nous permet de créer une distance, de prendre à parti le spectateur. Il ne s’agit pas de stigmatiser quiconque mais de laisser la place à l’expression et par l’amour de la danse à déconstruire la violence.

Au sein du spectacle, nous avons souhaité faire collectif une fois de plus et permettre la transmission par l’expérience artistique. Nous avons créé un langage commun et nous n’étions pas moins de huit nationalité différentes à mettre l’individu au service du collectif. Nous ne sommes pas dans un rapport manichéen au monde, nous sommes conscient que les communautés ont un côté lumineux mais aussi un côté excluant et parfois violent. Nous laissons exister ces deux aspects avec l’idée qu’il ne nous appartient pas de trancher. Peut-être la danse est là pour aplanir les frontières donner l’impression de s’être rencontrer et rétablir le contact.

Entretien mené par Henri Guette avec le collectif (La)Horde le 6 mai 2019

Interview avec le collectif (La)Horde par Henri Guette
Interview avec le collectif (La)Horde par Henri Guette