Léo Fourdrinier

Lui, les siens, tambours battants.

« Une analyse adéquate de la mythologie diffuse de l’homme moderne demanderait des
volumes. Car laïcisés, dégradés, camouflés, les mythes et les images mythiques se rencontrent
partout ; il n’est que de les reconnaître. »
Mircéa Éliade, Mythes, rêves et mystères.

« La sculpture est un art qui transgresse ses définitions au moins depuis Duchamp. Aujourd’hui
les artistes la pratiquent rarement de façon exclusive, ils l’utilisent pour sa tridimensionnalité,
pour sa façon d’articuler l’espace, ou même pour sa solidité transhistorique, puisque c’est l’art
le plus ancien qu’on connaisse. » 
Sylvie Coëllier

Une seule voix, et notamment celle du critique, ne serait suffisante pour parler de Léo Fourdrinier, tant sa pratique est vaste, tant elle est schizophrène1. C’est pourquoi ce texte à son égard – qui s’efforce de ne pas être dithyrambique – contient des citations pour nous aider à en dessiner les contours. Nous pourrions le présenter comme un sculpteur mais cela serait l’enfermer dans une case alors qu’il n’est pas vraiment définissable. Quand bien même, de quoi le travail de Léo Fourdrinier est-il le nom ? 

Toutes ses pièces résonnent d’intensité, de fureur, de pulsion ardente. Sa production est une véritable course vers des steppes célestes… Mais restons mesurés. On aurait envie de lui demander de ralentir pour ne pas faillir physiquement. De son propre aveu c’est en ne créant pas constamment qu’il se sent sombrer dans le vide. Son processus est ainsi thérapeutique. Il ne peut faire autrement que de respirer son acte créatif… Mais soyons raisonnables. Le calme revient grâce à la lecture de ses titres poétiques. Le sens2 que l’on pourrait donner à ses différentes étapes de création s’échelonne en plusieurs strates : l’idée synchrone, l’objet-action, la sérendipité. 

Laisser se faire les formes au fur et à mesure du geste, telle est sa méthode. Pour ce faire justement l’artiste offre une liberté à l’inconscient. Les différentes voix qui transparaissent dans les facettes tumultueuses de sa production proviennent sûrement d’une œuvre genèse, intitulée Frères (2015). Les symptômes de sa pensée multipartite ont dû se manifester dans ces années-là et ne l’ont plus quitté depuis. Jonathan Cyprès & Cécile Gallo, et d’autres groupes auxquels il appartient, en sont les échos. 

S’immiscer dans les tréfonds de la pensée de cet homme polymorphe n’est pas chose aisée, cependant on pourrait imaginer qu’il se situe dans une certaine cosmicité de l’esprit3, selon un procédé d’allitération de la perception directe. Pour faire simple, il perçoit le monde sous un autre angle, s’inspirant des communautés secrètes, complotistes ; et se jouant des réseaux qui font éclore ces histoires possiblement vraies, probablement fausses. Selena Gomez serait-elle reptilienne ? Avec une certaine agilité, il s’empare de références astrales et terriennes qui deviennent singulières4.  

L’élan avec lequel il déploie toutes ses interfaces est frappant. Rechercher « LA bonne idée » n’est pourtant pas son objectif. Cela serait plutôt : foncer vers de nombreuses phases de recherches et en retirer du plaisir en échange, pour lui et pour les autres. Cette générosité est certainement due à la puissante relation qu’il cultive avec ses proches. Brancardier dans une vie antérieure, son histoire personnelle l’a conduit à réaliser plusieurs pièces empreintes de mysticisme qui l’ont suivi durant son cursus et qui renferment, d’après ses dires, « un jet d’émotions incontrôlable et fluide ». S’il rit, tous tes gestes sont des oiseaux (2017) parle du corps coincé, tordu, du handicap. Pour Opium (2017), il a prélevé des matériaux à Nîmes, sa ville natale : des pierres dans la garrigue environnante, une roche de Mbigou (Gabon) –  récupérée dans sa maison familiale – teintée à la poudre d’opium et un pot en céramique appartenant à sa mère. Cette œuvre totémique est justement en rapport avec une autre œuvre s’intitulant Mater (2017), figure maternelle recouverte voire lacérée par des sangles. 

À Sévérac-le-Château en Aveyron, il a collecté des pierres autour de lieux religieux parce qu’il s’intéresse à l’esthétique de la destruction des ruines (Antics, 2018). Influencé par l’artiste néerlandais Mark Menders, les reliques de Léo Fourdrinier apparaissent elles aussi comme des mythologies du présent (Les silences de Prométhée, 2018 ; Les cathédrales ont la forme d’une prière, 2016-2019 ; Le voyage est une anamorphose, 2019)5. Très prolifique, on ne pourrait ici s’étendre à énoncer tout son fonds. 

Son cheminement créatif transparaît par le biais de la matérialisation de ses images mentales6. Dans une quête mystique, irradier de son être l’espace et empoigner toutes les possibilités pour créer avec ce qui existe autour de lui est son modus operandi

Le caractère science-fictionnel7 de sa pratique n’est pas à écarter. Nous avons tout intérêt en revanche à chercher plus loin, plus profondément, dans une multiple réalité constituée d’œuvres-monde. The Radiant (2019) est une stèle interdimensionnelle qui aurait pu être réalisée dans un monde post-apocalyptique8

De nombreux questionnements nous traversent lorsqu’on déambule autour des dispositifs de Léo Fourdrinier. Plus en avant, l’esthétique et la résonnance de ses artefacts nous révèlent leur caractère émancipateur. Car c’est bien de liberté dont nous parlons ici. De fougue. De maturité de la jeunesse. Des mots sauraient peut-être le définir dans un temps figé, mais en aucun cas ne pourraient prédire ce qu’il adviendra de son sprint vers l’anticipation. Ainsi, il serait vain d’entrevoir une ou plusieurs personnalités… Il faut maintenant lâcher prise. Léo Fourdrinier restera insaisissable. 

1 « Mais pour qui n’est pas fou, rien n’est plus beau que de se laisser conduire dans l’inconnu par une voix qui est folle. […] Ce qui est insoutenable dans la vie, ce n’est pas d’être, mais d’être son moi. » in Milan Kundera, L’immortalité.
2 « Et comment donnons-nous un sens ? Pour donner le sens, on se sert de certaines matrices linguistiques qui proviennent à leur tour d’images originelles. » in C.G. Jung, Les racines de la Conscience
3 L’eau et les rêves de Gaston Bachelard est un de ses livres de chevet.
4  « Bien des polémiques stériles de l’esthétique, bien des malentendus et des exclusives seraient évités si, au lieu de chercher à tout prix le principe unique qui livrerait sa clef, on admettait sa nature complexe – complexe jusqu’à paraître contradictoire. » in René Huyghe, L’art et l’âme.
5 Pour toutes les œuvres citées, consulter son portfolio sur le site de 40mcube, section GENERATOR, ou sur le site de l’artiste
6 « Les images sont même, selon le cas, les facteurs qui contrebalancent ou compensent les problèmes que la réalité à la vie pose. Il n’y a rien là d’étonnant puisque ces images sont des résidus d’expériences plusieurs fois millénaires de lutte pour l’adaptation à l’existence. » in C.G. Jung, L’âme et la vie.
7 « À strictement parler, l’utopie n’est pas un genre en soi, mais plutôt le sous-genre sociopolitique de la science-fiction. » in Darko Suvin, Si je trouve une cité pure, j’épargnerai l’homme.
8 « En réalité, cette forme de représentation, ce dispositif narratif particulier [NDA : celui de la science-fiction], a toujours entretenu un rapport plus complexe à son contenu manifeste (le futur). Car l’apparent réalisme, l’apparente représentationnalité de la SF, dissimule depuis toujours une structure temporelle bien plus complexe : il ne s’agit pas de nous donner des « images » du futur – quelle que soit la signification de telles images pour un lecteur qui, de toute façon, mourra avant qu’elles ne « se réalisent » –, mais de défamiliariser et de restructurer l’expérience que nous avons de notre présent, et ce sur un mode très spécifique, distinct de toute autre forme de défamiliarisation. » in Fredric Jameson, Penser avec la science-fiction : Tome 2 d’Archéologie du futur. Le désir nommé utopie.

Bertrand Riou, mai 2019.
Texte écrit dans le cadre de la résidence
GENERATOR #5 – mars 2019 40mcube (Rennes). 

Remerciements spéciaux à Patrice Goasduff, Anne Langlois,
Marion Resemann et Cyrille Guitard.

© Léo Fourdrinier, production 40mcube, 2019
© Léo Fourdrinier, 2019 Production GENERATOR, 40mcube/EESAB/Self Signal
© Léo Fourdrinier, production 40mcube, 2019
© Léo Fourdrinier, 2019 Production GENERATOR, 40mcube/EESAB/Self Signal
© Léo Fourdrinier, production 40mcube, 2019
© Léo Fourdrinier, 2019 Production GENERATOR, 40mcube/EESAB/Self Signal
© Léo Fourdrinier, production 40mcube, 2019
© Léo Fourdrinier, 2019 Production GENERATOR, 40mcube/EESAB/Self Signal
© Léo Fourdrinier, production 40mcube, 2019
© Léo Fourdrinier, 2019 Production GENERATOR, 40mcube/EESAB/Self Signal
© Léo Fourdrinier, production 40mcube, 2019
© Léo Fourdrinier, 2019 Production GENERATOR, 40mcube/EESAB/Self Signal
© Léo Fourdrinier, production 40mcube, 2019
© Léo Fourdrinier, 2019 Production GENERATOR, 40mcube/EESAB/Self Signal