Yango* _ Fulu Miziki

*« C’est ça » et par extension « Avance ! » en lingala

« Dis-moi comment tu fais la fête et je te dirai qui tu es. » 
Oskar Schlemmer (1888-1943)

Groupe performatif composé de sept membres, Fulu Miziki est issu du « chaos monstrueux de cette ville déglinguée, dans la frénésie haletante de sa circulation anarchique, dans le dédale de ses rues défoncées et dans la pénombre de ses quartiers interlopes »1

Fulu Miziki, la musique des poubelles, est constitué de Pisko Crane, son fondateur, Pitshou Deboule, Padou, Abe Pisko, Sekelembele, Tshetshe et Aïcha Mena Kanieba.
Fulu Miziki, c’est un son extraordinaire, comme venu d’une autre planète.
L’ensemble des instruments de musique du groupe est constitué d’éléments trouvés dans les poubelles de Kinshasa et assemblés ici. Il y a des tuyaux qui font le bruit d’un trombone quand on tape une claquette sur leurs extrémités, des pianos bricolés qui résonnent comme le bruit d’une souris attrapée au sein d’une trappe, des chaines aux bruits métalliques, des boites de tomates et des bidons qui servent de batterie, etc. Il y a une inventivité dans le faire à partir de rien et une oreille musicale qui permet aux membres du groupe d’inventer un son unique et de livrer aux spectateurs de leurs concerts des souvenirs inoubliables. 

Car, il y a le son. 
Qui entraîne inévitablement. 
Là, dans cette cour intérieure d’un immeuble de la cité dont le toit est partiellement détruit. 
Il y a les enfants qui dansent. Qui se trémoussent. 
Ces enfants avec lesquels le groupe réalise des ateliers. 
Et, parce que l’inventivité des Fulu Miziki est sans limite, musicalement ou visuellement, il y a aussi les costumes de chacun des membres du groupe !
Ces costumes !
Lesquels ont vu le jour à partir du moment où Aïcha Mena Kanieba est entré dans le groupe.
Des costumes avec des influences qui oscillent entre le tribal et la combinaison spatiale ! 
Une poubelle devient le casque d’un chevalier kinois entre passé et avenir. 
Des lanières de cuir sont assemblés pour devenir une cuirasse souple et argenté. 
Des énormes strass de plastique doré décorent l’ensemble, parfois !
Des cornes d’animaux ornent un masque …

Aïcha Mena Kanieba est la seule femme du groupe.
Aïcha Mena Kanieba est une reine.
C’est Lady Aïcha ! 
Et, parce qu’Aïcha Mena Kanieba est une reine, elle a rêvé, en 2018, de réaliser une sculpture. Rêve devenu réalité grâce aux membres du groupe. Pisko Crane, Pitshou Deboule, Padou et Abe Pisko ont créé la structure de la robe avec du fil de fer de parapluie. Cette structure ressemble à une crinoline sur laquelle sont posés un corsage, une tête et un sac. Les autres membres du groupe ont découpé les circuits électroniques et les ont fixés sur cette structure. Padou a réalisé le circuit électrique. Et Pitshou Deboule a créé la structure de la sandale. L’œuvre est commune. Elle appartient au groupe, à leur univers et en est totalement indissociable. 

Cette sculpture appelée Mwasi Mwinda, femme lumineuse, est donc elle-aussi constituée de déchets. Circuits imprimés, fils électriques, ampoules, tous ces éléments sont issus d’un recyclage de matériaux trouvés dans les rues de Kinshasa. A ces derniers, ont été ajoutés des strass, symbole d’une féminité « sapeuse » et de la préciosité des femmes.
 Mwasi Mwinda a été présentée à l’Institut Français de Kinshasa – Halle de la Gombe lors de l’exposition Kinshasa 2050 – Les femmes d’abord ! du 26 septembre au 27 octobre 2018. 
Le commissariat de cette exposition était assuré par Bill Kouélany, laquelle a créé en 2012 un lieu d’expérimentation artistique à Brazaville, les Ateliers Sahm.
Mwasi Mwinda est tout à la fois une sculpture et une robe, celle d’une reine en majesté dont la tête est ornée d’une couronne tandis que ces cheveux sont gris, signe d’une infinie sagesse. 
Mwasi Mwinda s’allume entièrement comme si elle était animée et est une métaphore d’une révolution en marche, celle des femmes congolaises, ambitieuses et créatrices. 
Aïcha Mena Kanieba explique qu’à Kinshasa les femmes ne font rien seules.
Que les kinoises ont un énorme potentiel mais qu’elles se placent toujours en retrait derrière les hommes. L’homme demeure le chef, comme au village. Le rôle de la femme est de s’occuper des enfants et du foyer. Les kinoises reçoivent peu d’éducation scolaire. 
Aïcha Mena Kanieba ajoute qu’une femme artiste n’est pas une femme sérieuse. Elle n’est pas présentable à la famille. Les hommes traitent généralement mal les femmes artistes. 
Et, il faut bien dire que, lorsque l’on visite l’Académie des Beaux-Arts de Kinshasa, on croise peu de d’artistes femmes. On croise également peu d’adolescentes dans les sections arts plastiques des humanités dont les classes se situent dans l’enceinte de l’Académie des Beaux-Arts. 

Alors, pourquoi être une artiste ? 
Aïcha Mena Kanieba répond à cette question par une série d’affirmations. 
La femme doit être ouverte et travailleuse. 
La femme est une reine. 
La femme est lumineuse. 
La femme éclaire son environnement. 
La femme éclaire le monde. 
Son rôle est donc essentiel au sein de la société. En tant que femme. En tant que mère. En tant que citoyenne. 
Et en tant qu’artiste. 

Pisko Crane, Pitshou Deboule, Padou, Abe Pisko, Sekelembele, Tshetshe sont des rois.
Pisko Crane Pitshou Deboule, Padou, Abe Pisko, Sekelembele, Tshetshe sont discrets.
Ils laissent Aïcha Mena Kanieba parler. Mais, ils sont là. Ils sont présents.
Ils insufflent leurs univers et leur vision. 
Pisko Crane demeure le chef d’orchestre du groupe. Fulu Miziki, c’est son rêve. Un rêve devenu réalité. Un rêve qui bouleverse l’univers musical kinois. Et d’ailleurs ! Puisque les Fulu Miziki participeront bientôt à leur premier festival international.2 
Bientôt, la sculpture Mwasi Mwinda aura un roi. 
Ce sera un roi progressiste. Un roi qui soutient sa reine. Ce roi symbolisera le dynamisme et la générosité kinoise. Il sera aussi le reflet d’une nouvelle génération d’homme prônant une égalité plus prononcée au sein de la société congolaise. Mwasi Mwinda et son roi figureront ainsi le futur des congolaises et des congolais dans une approche humaniste, futuriste et égalitaire de la société. Et si l’esthétique de cette future sculpture est encore à imaginer, les yeux de chacun des membres du groupe pétillent à son évocation. Nul doute que ce roi sera un pendant à Mwasi Mwinda dans le couple qu’ils formeront alors et qu’il sera constitué d’éléments recyclés sublimant les poubelles de Kinshasa. 

Fulu Miziki appartient indéniablement au mouvement de l’Afrofuturisme3, à savoir une science-fiction et une cyberculture du XXe siècle au service d’une réappropriation imaginaire de l’expérience et de l’identité noire. Felwine Sarr4 dit que repenser les identités africaines est primordiale ainsi que « recouvrer l’estime de soi en retrouvant dans nos référents culturels ce qui fait grandir notre humanité » . C’est ce que défend Fulu Miziki notamment à travers la figure féminine de la sculpture Mwasi Mwinda. Puiser dans les codes ancestraux, remettre au goût du jour les traditions pour forger une image de l’Afrique de demain, le défi est relevé par les Fulu Miziki, lesquels sont les super-héros de leur propre univers performatif, mais aussi par nombre d’artistes du continent africain, et notamment par les bédéistes du Nigeria, de l’Afrique du Sud ou du Togo qui donnent vie à des super-héros 100 % africains, inspirés de mythologies locales. Enfin, l’œuvre des Fulu Miziki relève également des notions d’œuvre d’art totale, vieux rêve européen du 19ème siècle. Un rêve un peu fou où la transdisciplinarité est une règle et où la frontière avec la vie est inexistante. Robert Raushenberg disait que, ce qui l’intéressait, c’était ce qui se situait entre l’art et la vie. Or, les Fulu Miziki développent une œuvre dépassant la question même de son statut en mêlant performance, musique, arts visuels, et vie. Ils situent leur œuvre entre art et vie. Une œuvre protéiforme et futuriste qui prend racine dans la ville de Kinshasa tant leur univers renvoie à la fois aux multiples réalités de la vie kinoise et à celles de la création contemporaine du continent africain. 

Enfin, en utilisant les poubelles comme matériau, les Fulu Miziki pointent également une double réalité. Celle de la pauvreté de la population et des artistes. Et celle de la non gestion des déchets dans la capitale de la République Démocratique du Congo. Problématiques qui dépassent les questions artistiques mais qui démontrent à quel point Fulu Miziki est ancré dans la réalité, une réalité tendant vers le futur. 

par Lydie Marchi

1 Guillaume Jan, Traine-Savate, Ed. Intervalles, 2014.
2 Il s’agira de la prochaine édition de Jazz Kif les 14 et 15 juin 2019 à Kinshasa
3 Le terme « afrofuturism » a été utilisé pour la première fois en 1993 par Mark Dery.
4  Intellectuel sénégalais, auteur notamment d’Afrotopia, Ed. Philippe Rey, 2016, et expert auprès de l’état français quant à la restitution des œuvres d’art aux pays africains.

Fulu Miziki
Fulu Miziki
Le groupe en train de réaliser Mwasi Mwinda
Le groupe en train de réaliser Mwasi Mwinda
Aïcha Mena Kanieba travaillant sur la scultpture Mwasi Mwinda
Aïcha Mena Kanieba travaillant sur la scultpture Mwasi Mwinda
Fulu Miziki, Mwasi Mwinda, Technqiues mixtes, dimensions variables, 2018
Fulu Miziki, Mwasi Mwinda, Technqiues mixtes, dimensions variables, 2018
Fulu Miziki, Mwasi Mwinda, Techniques mixtes, dimensions variables, 2018 _ détail, le sac
Fulu Miziki, Mwasi Mwinda, Techniques mixtes, dimensions variables, 2018 _ détail, le sac
Aïcha Mena Kanieba
Aïcha Mena Kanieba
Pisko Crane
Pisko Crane
Pisko Crane
Pisko Crane
Fulu Miziki, Instruments de musique
Fulu Miziki, Instruments de musique