Suzanne Mothes selon 1:61

Par Sophie Bernal – 1:61

Suzanne Mothes, Sans titre, série Intimité, 2017-2018
Suzanne Mothes, Sans titre, série Intimité, 2017-2018

L’expressionnisme des formes 

L’artiste-photographe Suzanne Mothes conçoit la photographie comme un modèle de captation permettant d’immortaliser la présence physique voire sensuelle des substances qui composent notre environnement. Tour à tour, des objets inanimés, des personnages distordus et des matériaux bruts passent sous son objectif. Elle y interroge régulièrement la capacité de l’œil à saisir l’aplat et le volume. C’est alors au spectateur de saisir le mouvement corporel ou matériel qu’elle capture. Suivant cette idée, il faut s’intéresser aussi bien à l’image qu’aux yeux qui la regardent. Dans l’ensemble de son œuvre, elle souligne l’importance que revêt chez l’être humain la notion d’intimité et se donne pour rôle de la dévoiler.  

Suzanne Mothes, Sans titre, série En-VerS, VERRE, vert, 2015
Suzanne Mothes, Sans titre, série En-VerS, VERRE, vert, 2015

Autour de la série « En-verS, VERRE, vert »

Lorsqu’elle fait éclore la série En-verS, VERRE en2015, l’artiste questionne les possibilités de déformation visuelle offertes par l’image numérique. Dans l’œuvre sans titre dominée par une composition vitreuse jaune et verte, l’artiste fait figurer une scène d’intérieur dépourvue de présence humaine. L’effet d’étirement du pichet qui domine la composition – subterfuge fréquemment utilisé par l’artiste – appelle l’œil qui la toise à se focaliser sur la matière texturée et presque palpable du verre. Au milieu de l’harmonie apparente de l’image, la composition plutôt satisfaisante au regard est perturbée par un flouté presque accidentel. En outre, le registre des couleurs choisi participe d’un mécanisme de centration du regard autour de la lumière. En utilisant deux couleurs aussi proches que le jaune et le vert, l’artiste offre à la composition une dimension rythmique bien plus prononcée que si elle leur avait préféré deux couleurs aux composantes très éloignées.

Synesthésie et rythme photographique

Ce processus de déclinaison de teintes, réitéré dans un large pan de l’œuvre de l’artiste, assimile la couleur à l’idée d’une vibration rythmée. Aussi, la symbiose entre rythme et tonalité mentionnée plus haut appelle-t-elle à développer la relation analogique qui lie les compositions désordonnées de l’artiste (elles ne le sont en réalité qu’en apparence) et l’art auditif comme modèle d’expression. En réduisant les objets à de simples formes suggestives, Suzanne Mothes les affranchit de leur fonction initiale et en autonomise la forme. Cette indépendance formelle, permise par le jeu de volume et la répétition, offre à ses abstractions photographiques une impression presque musicale. L’effet de redondance permis par la déformation picturale convoque deux principes fondateurs de la musique : le rythme et la récurrence. Ces deux notions, communes à l’art visuel et à l’art auditif, autorisent la lecture polysensorielle de l’œuvre de l’artiste que nous proposons ici. Les formes arrondies dominantes contrastent avec les compositions faites de lignes organiques et indisciplinées. Cette confrontation permet, sinon une déstabilisation du regardeur face à l’œuvre, un emprunt à la rythmique traditionnellement assimilée au domaine de la musique. À ce sujet, la complicité qui unit l’abstraction à l’esthétique musicaliste est acquise depuis si longtemps que nous nous contenterons de ne mentionner que brièvement quelques collaborations fécondes qui en ont forgé l’histoire : Kandinsky et Schoenberg ou encore Liszt et Fischinger, vidéaste de l’avant-garde dont les poèmes optiques font l’éloge du musicien. L’analogie musicaliste que nous nous autorisons ici s’appuie sur la réflexion que Suzanne Mothes développe depuis plusieurs années autour de la danse contemporaine, réflexion qui la conduit à s’enquérir des différentes possibilités du mouvement en photographie. Or, la danse n’est-elle pas la musique qui se déploie dans l’espace ? Aussi, n’est-on pas tentés de lire sa photographie comme une partition musicale ? De voir dans la juxtaposition des couleurs nuancées une danse rythmée ? Si nous cédons à cet attrait, voyons dans le dessein photographique de l’artiste un modèle d’expression analogue à celui de la musique : subjectif, il dépeint une atmosphère sentimentaliste plus qu’il ne renvoie à une vérité crue. Éphémère, il s’imprègne des qualités de son regardeur qui se trouve libre d’y voir ce qui lui plait. 

Suzanne Mothes, Sans titre, série Lieux communs, 2017
Suzanne Mothes, Sans titre, série Lieux communs, 2017
Suzanne Mothes, Sans titre, série Lieux communs, 2017
Suzanne Mothes, Sans titre, série Lieux communs, 2017
Suzanne Mothes, Sans titre, 2014
Suzanne Mothes, Sans titre, 2014

Suzanne Mothes

www.suzannemothes.com

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